Rarissime carabine Mauser #S, toutes options et lunette, Sn : WR 66

Le 20 Avril 1945, un élément du 9° Chasseurs s’empare (sur ordre) des usines Mauser, à Oberndorf-am-Neckar, environ 80 km à l’Est de Strasbourg. L’affaire s’est passée de façon fort civile, sans combat. Il faut dire qu’à cette époque, l’esprit va-t’en-guerre allemand avait singulièrement faibli. Là-dessus, un administrateur civil français est nommé et le 9° Chasseurs poursuit son aventure.
L’administrateur commence par aérer l’effectif en libérant tous les travailleurs étrangers (S.T.O.), plus de 5000 personnes. Il se sépare ensuite des directeurs de division parmi lesquels Edmund Heckler et Theodor Koch, qui reprendront leur activité sous leurs deux noms. Il ne garde que le patron de la division Sports, Walter Röll, (armes civiles, donc) et une petite équipe de 600 ouvriers environ (ce nombre augmentera par la suite).
Le gouvernement français n’a pas fini la seconde guerre mondiale que le mouvement insurrectionnel de libération de l’Indochine a démarré ses turbulences le 9 Mars 1945 avec le fameux coup de force. Les troupes françaises stationnées en Indochine font ce qu’elles peuvent dans une hallucinante épopée, regroupés sous le nom de Colonne Alessandri. 
Le manque d’armes est flagrant. Or, l’usine Mauser a subi des alertes mais très peu de bombardements de la 8th Air Force et les destructions sont dérisoires. L’outil de production est intact et, après avoir établi un inventaire, il se trouve que le stock de pièces détachées est colossal. L’administrateur va gérer tout cela avec une maîtrise qui force l’admiration : lors du démantèlement et du pétardage de l’usine, en 1948, tout ou presque a été utilisé ! Ont été fabriqué : 51118 Kar98k, 10461 carabines .22LR, 300 MG151, 37855 pistolets P38, 3098 pistolets P08 (voir à ce sujet les travaux de Kri1942 sur notre forum), 14528 pistolets #HSc et 5000 lance-flammes.
Parmi tout ce qui a été produit chez Mauser sous administration française, il y a eu environ 200 carabines de chasse. Ce petit nombre s’explique facilement par l’ambiance générale de l’époque : la clientèle de chasse allemande n’existait plus (il était interdit pour les Allemands de détenir des munitions et a fortiori des armes) et acheter une arme aux perdants de la guerre n’est pas venu à l’idée de grand monde.
Ces armes ont comme point commun de n’avoir pas de poinçon d’épreuve (en 1945-46, on avait d’autres préoccupations). Elles ont très souvent le poinçon WR qu’il est bien commode de traduire par Waffen Revision (malgré une polémique sur la signification de ces initiales). 
Attention : le préfixe WR avant 66 (le numéro de série) sont les initiales de Walter Röll, ne pas confondre   
200 carabines, c’est vraiment très peu, j’en présente deux dont une vraiment exceptionnelle par sa rareté (toutes époques de fabrication confondues) et son état.

Voici le coffre au trésor et son ouverture. Les autres photos suivront ; pas d’impatience !




Il s’agit d’une carabine Mauser modèle S (S comme Stutzen) en calibre 7 X 57, toutes options, avec lunette montée d’origine et à l’état neuf, Sn WR 66 [la seule arme identique connue, en 8 X 57, porte le Sn WR 55], et d’une plus classique modèle B avec lunette, en calibre 8 X 57, Sn 38S 217. Une carabine Stutzen est une arme de chasse en montagne à fût long et canon court (20’’). Elle se différencie du modèle M (comme Mannlicher) par l’extrémité du fût sans renfort métallique, la grenadière avant et le becquet intermédiaire de fût (pour la partie canon).
 Traditionnellement, le bonhomme d’armement de ces armes est en forme de poire mais ici, il est aplati et strié  en dessous (comme celui des Karabiner 98A). Sur le modèle M, le levier d’armement est en forme de ‘’manche de cuillère’’. D’autre part, le modèle S n’a pas de trappe de couche, contrairement à la M.
 Jon Speed, dans son livre sur les armes de sport Mauser écrit, page 159, que ces modèles S sont des pièces de choix dans une collection. Ces armes étaient plus fréquentes dans le calibre 9 X 57 et une observation attentive du fût, au tonnerre, montre un apport de bois, remarquablement fait, pour adapter ce fût de 9 X 57 au 7 X 57, plus réduit. 


Parmi les différentes options possibles sur ce modèle S, cette carabine correspond à la #230 et en 7 X 57 au mot-code yatal du catalogue Mauser de l’époque.
La boîte de culasse est renforcée pour le montage de lunette par une sur-épaisseur, à l’avant comme à l’arrière, communément appelée double square bridge.



Cette construction particulière a été disponible vers 1930. D’autre part, c’est sur ces boîtiers double square bridge que l’on peut trouver le côté gauche complet (solid left wall) et le guide de verrou à l’arrière droit de la boîte de culasse.





Le côté gauche complet (sans l’encoche pour que le pouce du tireur puisse descendre les cartouches de la lame-chargeur, typique du Kar98k) permet de faire le marquage Mauser Werke au centre, mais ce n’est pas systématique, comme les deux autres caractéristiques, d’ailleurs. Bien sûr, le guide de verrou (repris sur l’Arisaka type 99) suppose une modification de la noix de culasse :

Pour ces boîtes de culasse qui n’avaient pas le double square bridge , il y avait une transformation par apport d’une serrure arrière brasée à l’argent :



Il est clair que ces deux carabines de chasse plus la Mauser 45 civile avec dioptre, déjà présentée, constituent un lot rarissime que j’ai eu l’opportunité de saisir voilà quelques années. Elles ont toutes les trois été acquises par la même personne (aujourd’hui décédée) auprès de Walter Röll [Après la liquidation de Mauser par M. Raymond Bouysse, le petit stock restant de pièces détachées de carabines a été livré à Walter Röll, chez lui. Mais cette arme a été fabriquée chez Mauser, tout comme l’autre modèle S connu : Sn WR 55]. En effet, la carabine modèle S a fait l’objet d’un courrier de la part de Walter Röll, lettre conservée par l’ancien propriétaire. Or, il se trouve que lors de correspondances avec M. Jon Speed, auteur de l’ouvrage de référence sur les Mauser civiles, pour mettre à jour sa base de données avec mes carabines, j’ai évoqué cette lettre. A sa demande, je lui en ai communiqué une photo et il m’a fait part de son émotion car cette lettre est le seul spécimen connu de l’écriture de Walter Röll. Le projet d’une nouvelle édition de son livre, revue et augmentée, devait inclure cette lettre, mais en raison du décès de l’éditeur (Collector Grade Publications), rien n’a pu se faire. 
Voici donc cette lettre, en exclusivité totale. Pour éviter toute utilisation abusive, je l’ai filigranée, grâce à l’aimable concours de Konopka que je remercie, au nom de notre forum.



Suivent maintenant des photos de ces armes :

Obaneck :
Ce sont vraiment de très belles armes mais... j'ai cru comprendre que tu vivais près de la Méditerranée... certainement trop près.
Imagine avec le réchauffement climatique et tout ça, l'eau va monter et tout ton bazard va se retrouver tout humide... ça serait dommage non ?!
Là où je vis il n'y a pas la mer et c'est un peu sur une hauteur, je te propose donc de m'envoyer quelques unes de tes pièces (j'accepte de prendre à ma charge les frais de transports) afin de préserver ta collection.
Tu ne peux pas tout garder, c'est trop risqué!

Combien de munitions peuvent contenir ces armes ? Comme un classique Mauser ?
Le fond de magasin est amovible ou sur charnière ?
C'est une sorte de clé d'ouverture que l'on voit sur ce fond ?

 Quel que soit son domaine de prédilection, en matière de tir, de collection, etc. (et j'oserais même dire quel que soit l'objet collectionné, qu'il s'agisse des armes en général, des véhicules, etc.), on ne peut que rester sans voix devant de tels chefs d’œuvre de l'artisanat (au sens le plus noble du terme) !!!
Je réitère mes chaleureux remerciements à obaneck pour nous faire partager ces merveilles (et leur histoire) !!



P.S.: L'exemplaire Sn 38S 217 est-il celui dont parle W. Röll à la fin de la lettre ("Eventuell können wir aus Ihrem alten Gewehr eine Mauserbüchse bauen"/"Nous pouvons éventuellement construire une carabine Mauser à partir de votre ancien fusil")?

Pour CortoM, ta bonne volonté évidente pour la sauvegarde de ma collection me va droit au cœur , si, si, l’altruisme poussé à ce point, c’est rare ; promis, juré, si l’eau monte, je charge tout dans le pointu (il m’en faudra un gros), j’attrape les rames et en avant pour chez toi 
En attendant ce jour funeste, j’en profite encore un peu… 

Oui, le fond de magasin s’ouvre avec la clé inférieure pour le vider après la chasse. 
Voici :

Hier soir, j’ai fini très tard et je m’aperçois que j’ai oublié quelques précisions.
 De même, les deux détentes vont en étonner quelques-uns. À la chasse, on peut tirer à très courte distance, cas général de la battue où le tir moyen est entre 5 et 50 mètres : on déclenche le tir en actionnant la détente avant. On peut également faire des coups de longueur (jusqu’à 300 mètres, maximum autorisé en France), usuels en affût. Là, on dispose de temps pour une visée précise, on actionne alors la détente arrière à fond, jusqu’à son accrochage, puis on agit très légèrement sur la détente avant. Le réglage du poids de départ se fait au moyen de la vis visible entre les deux détentes. Il est facile de descendre à quelques dizaines de grammes. Ce système est appelé double détente, tout simplement. Cette faculté de jouer sur le poids de départ est primordiale pour la justesse du tir.

Merci Konopka, et bravo pour ton goût pour les belles choses !
Il est vraisemblable que la fameuse lettre de Walter Röll évoque la seconde carabine, la 38S 217, car dans la collection du défunt, seules ces trois armes avaient cette même origine ; à moins qu’une n’ait été vendue entre-temps, ce qui m’étonnerait car la collection était composée de pièces sublimes que j’ai conservées en bonne partie.
Je reviens sur le passage de la lettre dans lequel WR dit avoir trouvé des cartouches pour faire le tir de réglage.
Trouver des cartouches de chasse en Allemagne en 1948 relevait alors du prodige car la simple détention en était défendue (confirmé par Jon Speed au cours d’une correspondance).

PS : j’ai omis de préciser à CortoM que les magasins de Mauser du système 98 ou dérivé, civils ou militaires, ont une capacité de 5 cartouches standard (30-06, 8 X 57 etc.)

À propos du poinçon WR (avec les jambages du R dans les creux du W), en voici un exemplaire parfaitement frappé sur la Mauser 45 :

D’autres photos de l’arme présentée Sn WR 66 :

Une petite précision : Walter Röll était tellement certain de la qualité de ses fabrications qu’en apposant ses initiales sur l’arme, cela garantissait l’acquéreur autant qu’un poinçon d’épreuve. 
Les carabines Mauser portants ces initiales sont vraiment très rares. Le plus grand collectionneur de carabines civiles de chasse Mauser n’en a que 6 ou 7 sur plus de 300 armes…

obaneck a écrit:Pour CortoM, ta bonne volonté évidente pour la sauvegarde de ma collection me va droit au cœur , si, si, l’altruisme poussé à ce point, c’est rare ; promis, juré, si l’eau monte, je charge tout dans le pointu (il m’en faudra un gros), j’attrape les rames et en avant pour chez toi 
En attendant ce jour funeste, j’en profite encore un peu… 

Oui, le fond de magasin s’ouvre avec la clé inférieure pour le vider après la chasse. 
Voici :

Hier soir, j’ai fini très tard et je m’aperçois que j’ai oublié quelques précisions.
 De même, les deux détentes vont en étonner quelques-uns. À la chasse, on peut tirer à très courte distance, cas général de la battue où le tir moyen est entre 5 et 50 mètres : on déclenche le tir en actionnant la détente avant. On peut également faire des coups de longueur (jusqu’à 300 mètres, maximum autorisé en France), usuels en affût. Là, on dispose de temps pour une visée précise, on actionne alors la détente arrière à fond, jusqu’à son accrochage, puis on agit très légèrement sur la détente avant. Le réglage du poids de départ se fait au moyen de la vis visible entre les deux détentes. Il est facile de descendre à quelques dizaines de grammes. Ce système est appelé double détente, tout simplement. Cette faculté de jouer sur le poids de départ est primordiale pour la justesse du tir.

bon allez pas la peine de pointu Philippe,  je les prends dans mes montagnes 
Super belle présentation au passage.
ps: tu m en prêtes une pour le cochon??

Bonjour Romain,
L’altruisme des membres de TCAR est une inépuisable source d’espérance dans l’être humain ! 
J’habite, braves gens, à 30 mètres d’altitude. C’est peu certes, mais c’est tout de même suffisant pour être à l’abri d’une transgression marine, si inopinée soit-elle.
Ma réserve de Balistol️, d’Armistol️, et autres huiles me met à l’abri de la corrosion saline pour pas mal de temps.
Je pense également que si nous nous y mettons vraiment tous les deux, avec tout ce que nous avons les sangliers deviendraient une espèce protégée à bref délai 
Amitiés et bonne Toussaint à tous 

Merci Obanek pour cette présentation exceptionnelle, Dieu sait que je ne suis pas un grand fana des Mausers militaires, mais j'avoue que ces carabines sont de vraies beautés.  Et du point de vue technique, intégrer les embases directement au boîtier, c'était de l'avant-garde en 1930.
Ma préférence irait sans le moindre doute à la stutzen, enfant je n'avais d'yeux que pour ce genre de carabines dans le catalogue de Manufrance   Et puis j'adore son calibre, bien que, et faute de d'occasion suffisamment tentante, je n'ai pas encore franchis le pas d'acheter une arme chambrant cette cartouche.

Mais je n'irai pas jusqu'à proposer de l'héberger, elle a déjà un très bon papa qui prend bien soin d'elle, et à qui je souhaite d'en profiter encore très longtemps.

konopka a écrit:  Quel que soit son domaine de prédilection, en matière de tir, de collection, etc. (et j'oserais même dire quel que soit l'objet collectionné, qu'il s'agisse des armes en général, des véhicules, etc.), on ne peut que rester sans voix devant de tels chefs d’œuvre de l'artisanat (au sens le plus noble du terme) !!!
Je réitère mes chaleureux remerciements à obaneck pour nous faire partager ces merveilles (et leur histoire) !!

Eh bien non: moi, cette arme (et ses deux congénères) me laisse complètement froid. Tout simplement pas ma came. On me propose un truc comme ça pour 50 euros, je ne prends pas. Le seul fusil de chasse qui trouve un minimum grâce à mes yeux, c'est un vieux juxta stéphanois.
Mais je remercie moi aussi Obaneck d'élargir mon horizon armurier.

Mais heureusement que "tous les goûts sont dans la nature (et le meilleur est celui qu'on a )", sinon, ce serait d'un barbant!

obaneck a écrit:Bonjour Romain,
L’altruisme des membres de TCAR est une inépuisable source d’espérance dans l’être humain ! 
J’habite, braves gens, à 30 mètres d’altitude. C’est peu certes, mais c’est tout de même suffisant pour être à l’abri d’une transgression marine, si inopinée soit-elle.
Ma réserve de Balistol️, d’Armistol️, et autres huiles me met à l’abri de la corrosion saline pour pas mal de temps.
Je pense également que si nous nous y mettons vraiment tous les deux, avec tout ce que nous avons les sangliers deviendraient une espèce protégée à bref délai 
Amitiés et bonne Toussaint à tous 

Réflexion faite,  je crois que , avec toute la "flotte " que je prends ici, je préfère ton stock de Balistol finalement 
Comme Caudron,  un petit faible sur la stutzen.

Pas de souci, j’ai encore un bidon d’un litre d’Armistol️ dispo à l’armurerie !

Merci à tous de vos retours sur cette présentation. Bien qu’étant sur un forum d’armes réglementaires, je trouve  que ces réactions sont celles d’esprit ouverts. Que ces armes ne soient pas du goût de tous ne me choque nullement ; si mon activité d’armurier m’oblige à être généraliste, mes goûts personnels sont plus resserrés. Je suis très ami avec Moli que je vois à l’armurerie depuis qu’il est gamin et il est fan de la Carabine M1 alors que cette arme ne m’a jamais attiré 

Moi aussi, j’ai un sacré faible pour la Stutzen mais je ne peux pas larguer l’autre, ni mes autres Mauser civiles, ni les autres carabines de chasse faites à partir du boîtier Mauser 98 (et j’en ai pas mal …). Mon pseudo est d’ailleurs une contraction de Oberndorf-am-NECKar.
Cela dit, j’ai pas mal d’autres trucs très différents.